Facile à dire mais pas facile à faire!

 

 

 

Article Paru dans le journal Rebelles, anarchiste, no 49, Été 2000

 

Subversion. Mot dinosaurien qui gueule à toutes oreilles dans la sauce cosmique ou l'art est un dessert transgénique qui nous fait de l'oeil. Écrire sur la subversion et la création, la résistance et la contestation sociale. Le plaisir de questionner mon engagement social, mon expérience esthétique : la chute entre le néant et le chaos. Ouais ! J'ai d'abord tenté une recherche rapide du mot subversion dans des bases de données en condition féminine ou en éducation des adultes... Rare. J'ai trouvé l'obsession de la minceur, le régime amincissant tant et si bien que même la terre en devient plus légère. Déficit zéro, les portions sont maigres. Juste bien coupés, les budgets de la mondialisation pour la juste part du marché planétaire, où on est beaucoup à travailler mais très peu estimées, au prise avec la détérioration de nos conditions de vie et de l'environnement.

Les mots dinosauriens courent dans la tempête techno, le corps cybernétisé, la pensée virtualisée, notre relation au monde, médiatisée, et toujours ce dessert. Trop sucré, ça écoeure. Pourquoi la contestation sociale serait de combattre prioritairement l'obsession de la minceur ? On a tous le même problème. Désormais, c'est comme ça l'égalité entre la condition masculine et la condition féminine. La puissance de l'impact du patriarcat, et ses valeurs de rapports de domination : corps esthétiques, corps objets, corps apparence de santé, corps illusion de jeunesse et de pouvoir de séduction. Armées de mascara, tous rasés. Nos faux cils étirés jusqu'au ciel, nos idées révolutionnaires sorties des boules à mythes, une main tendue pour un peu de bonheur artificiel ! Miroir, miroir dis-moi, qui est la plus subversive? La gauche à gauche de la gauche ou la gauche à gauche de la droite à gauche de l'extrême? Il y a plein de crème fouettée qui dégouline sur le dessert. Régime oblige. C'est déjà ça vous me direz, le savoir "diviser pour régner".

 

La politique qui reproduit les rapports de domination ne change rien à la société actuelle, à nos idéologies d'exclusion, à nos parades de modes puristes, sexistes et racistes. Conditionnements à la compétition, à la domination à l'intérieur, à l'extérieur. Subvertir, divertir. Hors de la communication industrielle, commerciale point de statut. Et on ne s'en sort pas seules ou facilement. La loto contrôle. Mais où est donc passé la liberté dans ce discours, cette pensée ou cette action ? Vivre et créer par procuration. Tant d'esthétiques répressives, tant d'éthiques égalitaires et libertaires cachées, muselées, récupérées, détournées, étouffées. Le système se maintient par la force et la terreur. La loi du silence. La subversion de dire, de transgresser la peur, l'impuissance, l'isolement. La force de subversion de la solidarité là où on peut, pour que ça change. La subversion de créer pour créer, jouissif, festif, ludique, convivial, paisible. La subversion de s'amuser malgré tout, un sourire résistant de fraîcheur, pour passer au travers. La liberté a bien meilleur goût nature.

 

Le mot subversion se retrouve sur Internet, surtout chez les intellectuels, chez les universitaires. Là on exprime, on a le droit c'est fait pour ça... ce qu'ailleurs on tait. Vous connaissez la loi des matraques et de l'indifférence dans la rue. Cette violence. La mélasse épaissit dans le suc télévisuel, médiatique. L'engagement culturel est une stratégie intéressante. Certes, soigner un cancer avec du jus d'orange c'est utopique vous me direz. On dit aussi de la poésie, de l'art ou de la musique que ça ne change rien au salaire minimum à 6.90$ de l'heure, au seuil de la pauvreté à 8.50$ de l'heure. Surtout si le message n'est pas clair ou trop premier degré. Et pourtant les mots amours, droits, libertés ou solidarités existent parce qu'on les a inventés pour exister, pour changer le monde, pour s'humaniser. Notre force collective de changement est une réalité, à la portée de tous. Nos créations nous recréent une humanité constamment questionnée, renouvelée, revisitent nos identités et nos valeurs individuelles et collectives. La solidarité par l'engagement social et/ou artistique chambarde nos petites vies extrêmes d'Amérique, individualistes de sport, sang, sexe. La solidarité, la création pour l'égalité des droits et libertés transforment notre vision qu'on y croit ou non.

 

Nous nageons souvent en plein simulacre romantique politique, nos mémoires effacées, saccagées par la surinformation, la surconsommation... Submerger par la banalisation et le déni, le chaos ravageur de l'efficacité, la soumission au zapping. Remettre en question les rapports de domination jusqu'à ne plus les reproduire ? Utopie. La création qui reproduit les rapports de domination ne change rien à la création actuelle. Les paradoxes dans l'expérience esthétique, un maquillage de l'existence appauvrie, un leurre économique, un conformisme aux idées reçues de gauche ou de droite, aux stratégies extrémistes ou provocatrices bien musclées, bien bronzées sous la loi des terrorismes sytémiques et institutionalisés. L'informatique, l'économique, la culture guerrière ça va, si la vraie vie vous intéresse.

A défaut d'une vraie version de la vraie création de la vraie subversion, des projets humoristiques, créatifs, conscientisants ou collectifs peuvent contribuer à nous refaire une santé tout en acceptant notre nouvelle identité corporelle, notre taille sortie du guêpier. Reprendre tout son poids social. La quête de libération par l'expression et de libération dans l'expression. La subversion de contribuer à la présence et à la visibilité de femmes rebelles, en quantité et en qualité, pour une culture autre que celle de la compétitivité guerrière et exclusivement masculine. L'inconfort total de l'artiste condamnée à tout donner sous peine de ne plus pouvoir créer. La bonne attitude au bon moment ou le risque de perdre l'essentiel, de perdre le sens de la création, de la subversion dans l'art. Sylvie Chenard, mai 2000.